vendredi 8 juin 2007

Tendance : comment il ne faut pas écrire si on veut être publié

Si un jour, lassés par l'onanisme du bloggeur, vous voulez être publiés dans un vrai livre qui sent bon le papier et tout, je ne sais pas exactement ce qu'il vous faudra faire mais je sais précisément ce qu'il vous faudra éviter de commettre.

Ceci :

Lendemain de tempête

" Du plus loin que pouvait porter le regard, par-delà l’étendue d’eau qui recouvrait les prés communaux et qui miroitait sous le soleil oblique, jusqu’au canal et bien plus loin encore, si loin qu’on apercevait sur le ciel bleuté des clochers de villages qu’on n’avait jamais vus d’ici, les grands peupliers qui d'ordinaire habillaient les marais de leurs fières silhouettes, gisaient comme posés là par une main gigantesque, impeccablement alignés.
Ils avaient en chutant soulevé d’énormes blocs de terre et ces blocs s’élevaient maintenant très haut dans l’air, accrochés à leurs racines qui serpentaient et vomissaient de la tourbe détrempée.
A l’emplacement de chaque arbre, un grand trou, comme un tombeau, s’ouvrait à ciel ouvert.
- C’est effroyable, finit par murmurer Quentin
- Oui, répondit Mathilde. Elle s’appuyait sur son bras.
En direction de Mauzé, les peupleraies inondées étaient broyées et les arbres jetés pèle-mêle dans l’eau. Certains avaient été sectionnés à mi-tronc et ils laissaient pendre des lambeaux douloureux de bois déchiqueté, telles des plaies ouvertes par une arme barbare.
Quentin crut deviner alors une ambiance anormale, mystérieuse, qui planait et jetait sur tout ce désordre un éclairage plus dramatique encore. Il regardait tous ces arbres foudroyés, il regardait au loin dans la brume évanescente des clochers, il scrutait les bosquets de frênes et de broussailles qui semblaient avoir moins souffert mais au travers desquels on voyait tout de même de grands frênes effondrés sur les sous-bois. Il cherchait à comprendre, dans ce paysage meurtri, l’impression confuse d’une étrange mélancolie déployée en filigrane, comme si quelque chose échappait à sa conscience.
Quelque chose comme une absence.
Il chuchota enfin :
- Il n’y a pas un oiseau.
Pas un pigeon en effet, pas une corneille, pas une tourterelle, pas le moindre pinson traversant le ciel de son vol saccadé, pas un bruissement d’ailes, pas un merle, pas un pépiement et pas un mouvement sur ces champs de ruine.
Tout ce silence inquiet avait pénétré l’âme du bûcheron, habitué à vivre avec toutes les animations discrètes et tous les murmures de la vie sauvage.
Quentin eut un frisson.
- Ils ont dû partir ailleurs, chassés par le vent, dit Mathilde
- Je ne sais pas. C’est étrange…
Ils marchèrent jusqu’au canal. L’eau filait à toute allure et déversait son trop-plein entre les cadavres alignés sur ses berges. Quand un arbre s’était couché en travers de son cours, elle bouillonnait et faisait une cascade d’écume en franchissant l’obstacle.
Quentin s’accroupit et ramassa sous des branchages le corps d’un gros pigeon ramier. Il souffla sur le beau poitrail rose, sur la collerette blanche et sur le dos tout bleu, cherchant une blessure. Il n’en trouva pas. Il reposa l’oiseau, exactement là où il était tombé.
- Ils ont été projetés de leur perchoir. Ceux qui ont voulu s’envoler ont certainement été fracassés sur quelque obstacle. Ils n’ont plus où se percher dans tout ce chantier, et Quentin montrait d’un geste las le marais sur lequel déclinait la lumière, tout pâle, tout triste, comme la bougie d’une première nuit de deuil et de veille.
- Ils se sont sans doute réfugiés en forêt, conclut-il.
Ils rebroussèrent chemin. Quentin dit qu’il irait le lendemain dans ses coupes, puis qu’ils partiraient très vite en Auvergne.
Sa femme se souleva un peu sur la pointe des pieds et l’embrassa sur la joue :
- Tu ne t’es pas rasé, bandit …plaisanta t-elle.
Il lui sourit. Il se sentait désappointé, fatigué, et ressentait au fond de lui une sourde colère, touché au moral, comme si toute cette hécatombe était profondément injuste et l’eût personnellement atteint. Il aurait aimé faire exploser cette colère, vider la coupe. Mais sur qui ?
- Ils ont de la chance, les gens qui ont un dieu…
- Comment ça ?
Ils marchaient côte à côte sur le chemin humide et la lune se levait sur le bleu pâle du ciel. La nuit serait froide.
- Rien. Tout cela m’a chamboulé et me fait dire des conneries."

Et moi, ça m'en fait écrire...
Extrait d'un de mes manuscrits de rin, mais alors vraiment de rin du tout...